[validée] Fearadan, chevalier du Gondor

C’est une question intéressante surtout quand on sait, en lisant la biographie écrite par Humphrey Carpenter par exemple, que Tolkien ambitionnait dès tout jeune d’écrire une sorte de mythologie pour son cher pays, l’Angleterre, et que la longue histoire d’Arda avec toutes ses richesses en constitue l’aboutissement. Dès lors, je crois qu’il faut premièrement prendre en compte le fait que la Terre du Milieu est un environnement mythologique plutôt que médiéval fantastique, ou bien antiquisant et légendaire, et le personnage en est tributaire, même si selon sa race, sa condition, sa culture, l’endroit où il vit, etc., ce sera plus ou moins déterminant (voir ci-après).

Les mythologies sont des sources d’inspiration fortes de manière générale au niveau littéraire, parce que leurs légendes symbolisent souvent des traits marqués de la condition humaine, ainsi que la manière dont l’homme s’inscrit dans un univers imparfaitement compris et maîtrisé et où l’empreinte du divin est bien présente. Même si c’est la moins évidente, je pense que l’influence de la mythologie gréco-romaine est présente comme les autres par une certaine conception de la fatalité que l’on trouve chez des hommes du Premier Âge comme Turin, et même par un certain rapport au divin qui n’est pas sans rappeler le patronage d’un dieu pour son fils demi-dieu, avec Tuor et Ulmo, ou encore à travers les relations amoureuses difficiles voire interdites entre un mortel et un immortel ou un « être de l’autre monde » (mais ça, on peut le trouver chez les celtes et nordiques aussi). Finalement, pour créer un personnage à la destinée intéressante, il s’agit d’imiter un peu Tolkien à cet égard, et se souvenir d’histoires de guerriers légendaires comme Sigurd (on pense tous aux Nibelungen pour l’anneau…), Cuchulainn, ou d’autres plus accessibles comme Ulysse. Dans ces récits, on trouve des créatures, des artéfacts, des malédictions, des histoires d’amour tragiques, du merveilleux qui peuvent attendre des personnages en Terre du milieu.

Pour autant, il existe des pièges, car si Tolkien était un fin connaisseur des mythes et légendes celtiques et nordiques, il n’y a pas toujours équivalence dans les références, loin s’en faut, que l’on songe aux elfes, aux trolls, aux gobelins, ou encore aux nains (parfois assez ressemblants chez les nordiques, mais très dissemblables dans les romans de chevalerie par exemple). Pareillement, là où certains pourraient être tentés de voir un monde divin païen chez Tolkien, on se rend vite compte dans le Silmarillion que la Création a au moins autant à voir avec la conception chrétienne de l’auteur. On peut aussi toujours vouloir utiliser la mythologie celtique pour les Rohirrim ou Dunéens par exemple, mais c’est toujours un exercice délicat. Tolkien s'est beaucoup réapproprié des héritages culturels qu'il a croisés à mon sens.

Par contre, si on se limite à l’environnement créé par Tolkien en tant que tel, l’intérêt est rapidement évident à mon avis, surtout si l’on crée un elfe. Même si tous n’ont pas visité la terre des Valar, ils connaissent au moins par tradition les grands éléments de la nature théologique d’Arda. Les nains doivent également posséder des archives gravées dans la pierre et bénéficier d’une éducation sur leur « être au monde », même si certaines de leurs traditions restent cachées pour les autres peuples, comme leur vrai nom. Même les hommes malgré la brièveté de leurs jours, et plus ils sont liés à l’ouistrenesse, baignent dans des éléments anciens, ainsi que ces peuples soumis à Morgoth puis Sauron, même si c’est par l’autre biais, celui d’une soumission par une terreur dépassant l’entendement humain. Maintenant, il est possible que les hommes ayant une vue plus courte de l’histoire du monde et/ou n’étant pas soumis à une puissance d’émanation divine, tout comme les hobbits, sont des personnages moins susceptibles d’avoir une histoire influencée par des apports d’ordre mythologique - comme si l'on joue un marchand de Bree ou un meunier de la Comté, même si je n'ai rien contre les petits rôles.

En résumé, pour moi (car évidemment, c’est un sujet avec de multiples points de vue, c’est très large et je ne veux pas être excessivement long), l’apport mythologique pour un personnage est celui qu’un écrivain peut avoir quand il s’inspire de nos grandes légendes antiques, des mondes méditerranéen ou germanique, celte et nordique ; c’est intéressant avant tout pour un personnage dont la race est liée à « l’autre monde » comme on disait chez les celtes (elfes et nains donc pour nous), pour des héros humains ou des hommes que la fatalité rend particuliers (on peut inclure quelques hobbits, après tout c’est le lot de Bilbon et Frodon, et ce pourquoi ils passent dans cet « autre monde » à la fin). C’est comme si un écrivain voulait placer l’intrigue d’un roman au XIXe siècle sans connaître l’histoire de la période ; je pense que connaître la mythologie de Tolkien doit permettre de créer des personnages plus crédibles, et même quand ce sont des personnages aux origines plus simples, on doit savoir ce qu’il ne faut pas faire pour être raccord avec l’univers littéraire. Je me suis restreint à la mythologie pour le thème, mais on pourrait parler d’histoire au sens large : un personnage a une histoire privée qui lui est propre et s’inscrit dans le monde d’après sa nature (donc là c’est la mythologie, destin et divin), mais il existe aussi dans une temporalité, une chronologie qu’il faut connaître au moins un peu. Pour Fearadan, c’est la grande histoire de l’Arnor à sa chute puis du Gondor, avec une projection depuis l’héritage de Numenor. Même pour mon hobbit Théodebert, il doit y avoir une vision de la Comté dans le vaste monde, même si elle peut sembler aussi intemporelle que la Lorien parfois.

Et puis finalement, je me suis fait cette réflexion en jeu, en passant de la Lorien à la région du Grand fleuve, avec cette triste histoire d'amour entre un soldat du Rohan et une veilleuse elfe ; n'y a-t-il pas justement un passage de la mythologie à l'histoire ? C'est peut-être cela aussi la fin du Troisième Âge et l'avènement du règne des hommes.