L'enfant des plaines
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L'enfant des plaines
Prologue
La Ville…
Tout y était nouveau, d'une bienheureuse fraîcheur…
Tout y était merveilleux, minutieux, tellement coloré…
Et les gens avec leurs mots qui roulent, paressent ou tonnèrent…
Et les gens à la peau de miel sombre…
Et les gens aux cheveux de paille, aux cheveux de nuit…
Tout avait une saveur d'ailleurs.
Et Barmrhud était tout juste une femme.
Le clan s'était installé aux portes de la ville, coté du soleil, là où les murailles protègent du Fureteux, le vent venu des plaines de neige. Ils avaient monté leurs tentes trois jours auparavant. En trois jours, ils avaient vendu toutes les peaux des kyr trop vieux qu'ils avaient du abattre, toutes les plantes d'azur et toute la laine qu'ils avaient pu tirer de leur bétail. Ils avaient aussi acheté les pots de terre, le lin et quelques lames en acier brillant. Arnulf avait acquis une pierre qui poli le métal et de jolies pierres rouges à monter en collier pour donner des couleurs à la peau blanche de sa fille aimée. Ils devaient repartir dans les plaines, le lendemain, après avoir plié les tentes. Mais Barmrhud avait envie de toutes ces jolies choses, de connaitre les histoires des autres Villes, et de toucher ces peaux mates des voyageurs. Profitant d'un moment d'inattention en début d'après-midi, elle s'était échappée pour se rendre dans le quartier commerçant. Elle avait trainé longtemps devant les étals sans rien toucher que des yeux malgré ses mains qui la démangeaient ; elle commençait à avoir soif. Un jeune homme avait du s'en rendre compte ; il lui tendit un pichet de bière légère. Il était beau et bien bâti, sa voix avait chanté son pays bien mieux que les mots qu'elle ne comprenait qu'à peine, et finalement la douceur de ses lèvres la conquit. Elle n'était pas retournée le soir auprès du feu, au milieu des tentes. Ses parents s'inquiéteraient un peu, mais elle leur donnera de bonnes nouvelles, plus tard. Elle avait un homme pour elle, là.
Ils avaient vécu ensemble deux mois. Et puis un matin il était reparti faire la guerre. Elle n'avait pas pu le retenir ; elle n'avait pas voulu se servir du secret qu'elle portait en elle depuis une lune déjà. Il lui avait laissé son luth et quelques pièces d'or : une richesse dans les plaines, de maigres réserves pour vivre à la Ville. Alors elle s'acheta un âne et la plus grande pièce de poisson salé qu'elle put trouver. En refermant la porte de leur appentis, elle ne laissait derrière elle qu'un lit, une table, une chaise - l'autre lui servirait - et beaucoup de souvenirs.
Il fallut près d'une demi-lune à Barmrhud pour retrouver le clan de la Pierre Levée. Elle avait d'abord vu une fumée monter de nulle part, puis elle avait attendu la nuit et le matin d'après. Elle s'est approchée lentement, à pied, la bride de l'âne bâté dans sa main gauche. Dans sa main droite, le poisson qu'elle tenait devant elle. Elle regardait le sol. Repentante, elle se présenta ainsi devant son père, le poisson bien en évidence. Arnulf resta longtemps à la regarder sans rien dire. Le clan eut tout le temps de s'attrouper autour d'eux. Barmrhud ne leva pas les yeux et attendit, soumise, la volonté du chef. D'un geste lent et plein de majesté il prit le poisson et tourna les talons pour rentrer dans sa tente. Dès qu'il eut disparu derrière la peau tendue, sa mère poussa un cri de joie et courut pour serrer sa fille prodigue dans ses bras. Les deux femmes pleurèrent ensemble des larmes de soulagement et de joie, tandis que le clan approuvait par ses commentaires la décision qui venait d'être prise.
L'hiver passa. A la fin du printemps, le fils du guerrier et de Barmrhud naquit. Il sera sans père ; elle n'aura jamais de mari ; il aura une mère qui restera dorénavant fidèle aux siens, quoi qu'il lui en coûte ; elle sera forte ; il sera heureux.
La Ville…
Tout y était nouveau, d'une bienheureuse fraîcheur…
Tout y était merveilleux, minutieux, tellement coloré…
Et les gens avec leurs mots qui roulent, paressent ou tonnèrent…
Et les gens à la peau de miel sombre…
Et les gens aux cheveux de paille, aux cheveux de nuit…
Tout avait une saveur d'ailleurs.
Et Barmrhud était tout juste une femme.
Le clan s'était installé aux portes de la ville, coté du soleil, là où les murailles protègent du Fureteux, le vent venu des plaines de neige. Ils avaient monté leurs tentes trois jours auparavant. En trois jours, ils avaient vendu toutes les peaux des kyr trop vieux qu'ils avaient du abattre, toutes les plantes d'azur et toute la laine qu'ils avaient pu tirer de leur bétail. Ils avaient aussi acheté les pots de terre, le lin et quelques lames en acier brillant. Arnulf avait acquis une pierre qui poli le métal et de jolies pierres rouges à monter en collier pour donner des couleurs à la peau blanche de sa fille aimée. Ils devaient repartir dans les plaines, le lendemain, après avoir plié les tentes. Mais Barmrhud avait envie de toutes ces jolies choses, de connaitre les histoires des autres Villes, et de toucher ces peaux mates des voyageurs. Profitant d'un moment d'inattention en début d'après-midi, elle s'était échappée pour se rendre dans le quartier commerçant. Elle avait trainé longtemps devant les étals sans rien toucher que des yeux malgré ses mains qui la démangeaient ; elle commençait à avoir soif. Un jeune homme avait du s'en rendre compte ; il lui tendit un pichet de bière légère. Il était beau et bien bâti, sa voix avait chanté son pays bien mieux que les mots qu'elle ne comprenait qu'à peine, et finalement la douceur de ses lèvres la conquit. Elle n'était pas retournée le soir auprès du feu, au milieu des tentes. Ses parents s'inquiéteraient un peu, mais elle leur donnera de bonnes nouvelles, plus tard. Elle avait un homme pour elle, là.
Ils avaient vécu ensemble deux mois. Et puis un matin il était reparti faire la guerre. Elle n'avait pas pu le retenir ; elle n'avait pas voulu se servir du secret qu'elle portait en elle depuis une lune déjà. Il lui avait laissé son luth et quelques pièces d'or : une richesse dans les plaines, de maigres réserves pour vivre à la Ville. Alors elle s'acheta un âne et la plus grande pièce de poisson salé qu'elle put trouver. En refermant la porte de leur appentis, elle ne laissait derrière elle qu'un lit, une table, une chaise - l'autre lui servirait - et beaucoup de souvenirs.
Il fallut près d'une demi-lune à Barmrhud pour retrouver le clan de la Pierre Levée. Elle avait d'abord vu une fumée monter de nulle part, puis elle avait attendu la nuit et le matin d'après. Elle s'est approchée lentement, à pied, la bride de l'âne bâté dans sa main gauche. Dans sa main droite, le poisson qu'elle tenait devant elle. Elle regardait le sol. Repentante, elle se présenta ainsi devant son père, le poisson bien en évidence. Arnulf resta longtemps à la regarder sans rien dire. Le clan eut tout le temps de s'attrouper autour d'eux. Barmrhud ne leva pas les yeux et attendit, soumise, la volonté du chef. D'un geste lent et plein de majesté il prit le poisson et tourna les talons pour rentrer dans sa tente. Dès qu'il eut disparu derrière la peau tendue, sa mère poussa un cri de joie et courut pour serrer sa fille prodigue dans ses bras. Les deux femmes pleurèrent ensemble des larmes de soulagement et de joie, tandis que le clan approuvait par ses commentaires la décision qui venait d'être prise.
L'hiver passa. A la fin du printemps, le fils du guerrier et de Barmrhud naquit. Il sera sans père ; elle n'aura jamais de mari ; il aura une mère qui restera dorénavant fidèle aux siens, quoi qu'il lui en coûte ; elle sera forte ; il sera heureux.
Hiragil- Nombre de messages : 45
Date d'inscription : 12/07/2011
Re: L'enfant des plaines
La veille au soir, les hommes avaient parlé autour du feu. Ils venaient d'abattre plusieurs ryks et disposaient d'une bonne quantité de cuir pour le troc. Il y avait un clan qui venait du levant, que la Pierre levée rencontrait vers le milieu de l'automne en poussant le troupeau un peu dans cette direction. Ils échangeaient alors leurs peaux et de petits objets en corne contre du sel, indispensable à leurs ryks pour passer la saison des neiges. Or cette année le clan du Soleil à trois flammes était en retard. Certains voulaient envoyer des éclaireurs pour savoir ce qui se passait ; les anciens, aussi anxieux, savaient que les éclaireurs, tout en prenant des risques, ne changeraient rien au retard du Soleil et qu'il valait mieux attendre. Finalement, ils décidèrent de se déplacer encore un peu vers le levant, mais sans attendre plus d'une dizaine de jours. Et à chacun le soin de faucher plus d'herbe pour faire du foin, au cas où. Les pâtures chaudes étaient encore loin, et le Fureteur menaçait de se jeter sur le camp.
- " Hey ! le Bâtard, tu viens ? "
L'enfant sortit de la tente qu'il partageait avec sa mère, toujours en limite du campement, du côté du soleil couchant. Barmrhud aimait profiter des derniers rayons de soleil. Cyrgil était l'ainé du Bâtard de quelques révolutions, et ils étaient les seuls garçons du clan. Aujourd'hui, ils avaient le projet de construire un barrage sur le ruisseau proche. Ils partirent pour la journée les poches vides et la bouche pleine de mots joyeux. Le jeune avait volé le couteau de sa mère, l'empêchant de fait de faucher les herbes hautes et du coup l'obligeant à coudre ses nouveaux vêtements de froid.
Arrivés sur place l'orphelin s'attacha à couper les grosses branches d'un buis tandis que Cyrgil ramenait les plus gros cailloux des environs. Les bouts de bois élagués furent taillés en pointe et enfoncés régulièrement sur deux rangs dans toute la largeur du lit de la rivière. Le Bâtard tenait les pieux bien droits et son ami les enfonçait violemment avec un gros galet tiré du fond de l'eau. La rivière était à cet endroit peu large mais profonde et les berges assez hautes. Pendant ces opérations délicates, les pieds immobiles des enfants semblaient pris dans collet de glace. Quand le dernier pieu fut enfoncé, ils s'asseyèrent sur la berge et se frictionnèrent les pieds bleuis par le froid.
Cyrgil se leva et commença à disposer les plus gros rochers contre les pieux plantés, de part et d'autre des deux rangées, puis il les empila. Pendant ce temps le bâtard restait assis à tresser des herbes longues qu'il cueillait au gré de ses besoins. Au bout de quelques temps, il s'éloigna en emportant ses réalisations.
Une fois qu'il eut utilisé toutes les grosses pierres qu'il avait ramenées, Cyrgil ramassait les galets qui étaient à sa portée et les entassa entre les deux rangées de pieux. Il se baissait et se relevait sans cesse, le dos courbé. Quand le Bâtard revint, il s'attela à cette même tâche mais en aval du barrage, laissant son ami en amont. A mesure que les galets s'accumulaient, le niveau de l'eau montait, et Cyrgil dut s'activer pour extraire les derniers cailloux avant que la hauteur d'eau ne dépasse la longueur de son bras. Quand il dut s'arrêter, les deux amis se relevèrent et se rejoignirent sur la rive et contemplèrent, fiers, leur ouvrage. Le mitan du jour était passé depuis peu.
Le Bâtard conduisit son ami à travers les broussailles et lui montra tous les collets qu'il avait posé dès le début des travaux. Aucun longues-oreilles n'avait encore voulu se laisser prendre, alors ils ramassèrent deux bouts de bois chacun qu'ils entrechoquèrent pour faire le plus de bruit possible. En progressant habilement ils réussirent à en rabattre quelques uns vers la zone piégée, mais aucun ne se laissa prendre. Ils décidèrent donc de les prendre en chasse et de les attraper à main nue, ce qui était beaucoup plus amusant. Ils sautèrent dans toute la lande presque toute l'après-midi pour finalement réussir à en attraper un. Les deux amis revinrent fiers à leur barrage et le Bâtard, animal en main entra dans le lit gonflé de la rivière. Sans hésitation, il assomma puis creva les yeux leur malheureuse proie qu'il tenait par les pattes arrières. Il laissa le sang couler dans l'eau. A l'aide de son couteau, il coupa la tête qu'il lesta avec du gravier et déposa au fond de la retenue. Cyrgil attendait patiemment qu'il ait fini.
Sur le chemin du retour, ils se racontaient bruyamment les scènes les plus marquantes de leur chasse, en riant et en se bousculant pour mieux les revivre. Ils arrivèrent au camp autant couverts de poussière qu'en partant et donnèrent leur prise aux femmes autour du feu.
Barmrhud sourit tendrement en voyant arriver son fils. Elle se leva et lui déposa un baiser sur le front. Rapide, elle se saisit du couteau dérobé et essaya de paraitre sévère pour gronder son petit amour de diable qui paraissait heureux de sa journée. Elle se contenta de hausser les épaules et retourna à son ouvrage.
-"móðir, nous reviendrons avec une surprise." Et il sortit sans attendre de réponse avec la peau tannée qui lui servait de couverture.
Et les deux camarades se rendirent de nouveau à leur barrage. Ils furent satisfait et quelque part un peu surpris qu'il ait résisté à la nuit. Mais l'essentiel était ailleurs. Ils se penchèrent au-dessus du petit lac qu'ils avaient formé et se permirent un sourire. Les écrevisses étaient bien là. Elles étaient venues se repaitre des chairs mortes gisantes au beau milieu de ce vaste lit où elles étaient restées bloquées.
Le Bâtard tenait la couverture tendue juste devant lui quand le ciel devint subitement d'un gris très clair, comme si un voile continu de brume irradiait une douce lumière blanche. La lande avait perdu ses couleurs. La végétation pliait sous un vent qu'il ne ressentait pas sur sa peau, qui ne sifflait pas à ses oreilles. Cyrgil était devant lui suspendu en l'air, au-dessus de l'eau dans laquelle il allait plonger ; il n'avançait pas, il ne tombait pas. Au bout de très longues secondes, il entendit un sifflement. Il vit alors un serpent d'eau, couleur vert vif, sortir de la berge en face de lui et se mettre sous Cyrgil qu'il essaya de mordre. S'il se désintéressait du Bâtard, sa proie semblait obséder le reptile dont les mouvements se faisaient de plus en plus frénétiques, sauvages. Le pauvre enfant ne pouvait pas vraiment bouger, comme dans un mauvais rêve ; il ne pouvait pas hurler non plus pour alerter. Tout était infiniment lent, sauf le serpent à la peau verte qui se débattait furieusement pour atteindre sa proie. Mais le Bâtard devait agir et il poussa un grand cri intérieur pour se donner la force d'agir. Il banda sa volonté pour essayer de vaincre le carcan invisible qui le retenait.
Tout s'accéléra sans prévenir. Il sentit l'humus humide, les caresses du vent, la terre meuble, Cyrgil qui se débattait en riant, à un pas de la rive. Le Bâtard l'avait fait tomber en lui enserrant les jambes dans ses bras. Juste devant eux, un serpent surgi de la terre et s'élança sur l'eau, ondoyant sur les vaguelettes pour traverser le ruisseau puis disparut dans l'herbe de la plaine à une bonne dizaine de pas. Les enfants le regardèrent onduler puis se mirent à la pêche aux écrevisses.
Ce soir là, le Bâtard ne mangea pas les succulentes écrevisses et discuta jusque tard avec les étoiles.
- " Hey ! le Bâtard, tu viens ? "
L'enfant sortit de la tente qu'il partageait avec sa mère, toujours en limite du campement, du côté du soleil couchant. Barmrhud aimait profiter des derniers rayons de soleil. Cyrgil était l'ainé du Bâtard de quelques révolutions, et ils étaient les seuls garçons du clan. Aujourd'hui, ils avaient le projet de construire un barrage sur le ruisseau proche. Ils partirent pour la journée les poches vides et la bouche pleine de mots joyeux. Le jeune avait volé le couteau de sa mère, l'empêchant de fait de faucher les herbes hautes et du coup l'obligeant à coudre ses nouveaux vêtements de froid.
Arrivés sur place l'orphelin s'attacha à couper les grosses branches d'un buis tandis que Cyrgil ramenait les plus gros cailloux des environs. Les bouts de bois élagués furent taillés en pointe et enfoncés régulièrement sur deux rangs dans toute la largeur du lit de la rivière. Le Bâtard tenait les pieux bien droits et son ami les enfonçait violemment avec un gros galet tiré du fond de l'eau. La rivière était à cet endroit peu large mais profonde et les berges assez hautes. Pendant ces opérations délicates, les pieds immobiles des enfants semblaient pris dans collet de glace. Quand le dernier pieu fut enfoncé, ils s'asseyèrent sur la berge et se frictionnèrent les pieds bleuis par le froid.
Cyrgil se leva et commença à disposer les plus gros rochers contre les pieux plantés, de part et d'autre des deux rangées, puis il les empila. Pendant ce temps le bâtard restait assis à tresser des herbes longues qu'il cueillait au gré de ses besoins. Au bout de quelques temps, il s'éloigna en emportant ses réalisations.
Une fois qu'il eut utilisé toutes les grosses pierres qu'il avait ramenées, Cyrgil ramassait les galets qui étaient à sa portée et les entassa entre les deux rangées de pieux. Il se baissait et se relevait sans cesse, le dos courbé. Quand le Bâtard revint, il s'attela à cette même tâche mais en aval du barrage, laissant son ami en amont. A mesure que les galets s'accumulaient, le niveau de l'eau montait, et Cyrgil dut s'activer pour extraire les derniers cailloux avant que la hauteur d'eau ne dépasse la longueur de son bras. Quand il dut s'arrêter, les deux amis se relevèrent et se rejoignirent sur la rive et contemplèrent, fiers, leur ouvrage. Le mitan du jour était passé depuis peu.
Le Bâtard conduisit son ami à travers les broussailles et lui montra tous les collets qu'il avait posé dès le début des travaux. Aucun longues-oreilles n'avait encore voulu se laisser prendre, alors ils ramassèrent deux bouts de bois chacun qu'ils entrechoquèrent pour faire le plus de bruit possible. En progressant habilement ils réussirent à en rabattre quelques uns vers la zone piégée, mais aucun ne se laissa prendre. Ils décidèrent donc de les prendre en chasse et de les attraper à main nue, ce qui était beaucoup plus amusant. Ils sautèrent dans toute la lande presque toute l'après-midi pour finalement réussir à en attraper un. Les deux amis revinrent fiers à leur barrage et le Bâtard, animal en main entra dans le lit gonflé de la rivière. Sans hésitation, il assomma puis creva les yeux leur malheureuse proie qu'il tenait par les pattes arrières. Il laissa le sang couler dans l'eau. A l'aide de son couteau, il coupa la tête qu'il lesta avec du gravier et déposa au fond de la retenue. Cyrgil attendait patiemment qu'il ait fini.
Sur le chemin du retour, ils se racontaient bruyamment les scènes les plus marquantes de leur chasse, en riant et en se bousculant pour mieux les revivre. Ils arrivèrent au camp autant couverts de poussière qu'en partant et donnèrent leur prise aux femmes autour du feu.
Barmrhud sourit tendrement en voyant arriver son fils. Elle se leva et lui déposa un baiser sur le front. Rapide, elle se saisit du couteau dérobé et essaya de paraitre sévère pour gronder son petit amour de diable qui paraissait heureux de sa journée. Elle se contenta de hausser les épaules et retourna à son ouvrage.
-"móðir, nous reviendrons avec une surprise." Et il sortit sans attendre de réponse avec la peau tannée qui lui servait de couverture.
Et les deux camarades se rendirent de nouveau à leur barrage. Ils furent satisfait et quelque part un peu surpris qu'il ait résisté à la nuit. Mais l'essentiel était ailleurs. Ils se penchèrent au-dessus du petit lac qu'ils avaient formé et se permirent un sourire. Les écrevisses étaient bien là. Elles étaient venues se repaitre des chairs mortes gisantes au beau milieu de ce vaste lit où elles étaient restées bloquées.
Le Bâtard tenait la couverture tendue juste devant lui quand le ciel devint subitement d'un gris très clair, comme si un voile continu de brume irradiait une douce lumière blanche. La lande avait perdu ses couleurs. La végétation pliait sous un vent qu'il ne ressentait pas sur sa peau, qui ne sifflait pas à ses oreilles. Cyrgil était devant lui suspendu en l'air, au-dessus de l'eau dans laquelle il allait plonger ; il n'avançait pas, il ne tombait pas. Au bout de très longues secondes, il entendit un sifflement. Il vit alors un serpent d'eau, couleur vert vif, sortir de la berge en face de lui et se mettre sous Cyrgil qu'il essaya de mordre. S'il se désintéressait du Bâtard, sa proie semblait obséder le reptile dont les mouvements se faisaient de plus en plus frénétiques, sauvages. Le pauvre enfant ne pouvait pas vraiment bouger, comme dans un mauvais rêve ; il ne pouvait pas hurler non plus pour alerter. Tout était infiniment lent, sauf le serpent à la peau verte qui se débattait furieusement pour atteindre sa proie. Mais le Bâtard devait agir et il poussa un grand cri intérieur pour se donner la force d'agir. Il banda sa volonté pour essayer de vaincre le carcan invisible qui le retenait.
Tout s'accéléra sans prévenir. Il sentit l'humus humide, les caresses du vent, la terre meuble, Cyrgil qui se débattait en riant, à un pas de la rive. Le Bâtard l'avait fait tomber en lui enserrant les jambes dans ses bras. Juste devant eux, un serpent surgi de la terre et s'élança sur l'eau, ondoyant sur les vaguelettes pour traverser le ruisseau puis disparut dans l'herbe de la plaine à une bonne dizaine de pas. Les enfants le regardèrent onduler puis se mirent à la pêche aux écrevisses.
Ce soir là, le Bâtard ne mangea pas les succulentes écrevisses et discuta jusque tard avec les étoiles.
Hiragil- Nombre de messages : 45
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